L’ETHIQUE DU JUGE ET DE L’EXPOSANT
De plus en plus, les résultats obtenus par les chiens au cours des expositions canines font l’objet de contestations et d’accusations graves de la part des exposants à l’encontre des juges.
Exposante pendant 25 ans et juge depuis 18 ans, je vais tenter ici d’expliquer cet état d’esprit.
La tâche est difficile car il n’y a pas une mais des raisons à cette évolution.
Dans le passé, les critiques étaient vraisemblablement tout aussi présentes mais le juge était quelqu’un de respecté dont la compétence (à tort ou à raison) était rarement mise en cause. Nous ignorions tout de la façon dont il avait accédé à cette fonction et ses connaissances n’étaient pas remises en question.
Il est vraisemblable que le juge avait les mêmes limites que de nos jours et de plus, sa formation était beaucoup plus empirique mais il était Le Juge avec un grand « J ».
Il est dans l’air du temps d’être beaucoup plus porté sur la critique. Quelle est la cause de ce bouleversement fondamental : est-il lié à la remise en cause de la hiérarchie, à l’évolution du niveau d’instruction… Est-ce une déviation de la démocratie, je n’aborderai pas ce sujet.
Contestée au départ avec discrétion, la mise ne cause de l’autorité a vu son apogée en 1968, ce n’est pas nécessairement un mal mais une juste évolution des rapports hiérarchiques.
Le droit à l’expression et à la contestation de l’autorité peut faire avancer les choses.
La critique peut être positive quand elle est réfléchie et objective.
Mais il reste néanmoins évident que chacun a son domaine de compétence et que nous ne nous substituerons pas au médecin pour établir un diagnostic ou au législateur, une loi.
Dans ce cas, pourquoi se substituer continuellement au juge pour établir un classement !
De nos jours, la formation d’un juge canin passe par un bilan positif de ses résultats en tant qu’éleveur, un test écrit et technique organisé par le club d’origine suivi d’un examen se passant dans les locaux de la SCC mis en place avec des vétérinaires sur la construction, la musculature, le mouvement, la génétique… et en dernier sur les règlements de la cynophilie.
Si le candidat réussit cette formation, et je tiens à préciser qu’il est indispensable d’obtenir la note minimum de 13/20 pour être reçu, il va accéder à la formation pratique sur le cheptel existant en exposition, par le biais de juges formateurs.
Il aura ensuite trois expositions minimum à juger en exposition nationale pour apprendre à se comporter en juge.
Je tiens à préciser toutefois que toutes les formations du monde ne pourront jamais remplacer ce que dans le monde canin nous appelons l’œil du chien : c’est-à-dire la faculté d’apprécier objectivement la valeur d’un chien au regard de son standard et de l’expression de ses qualités.
Ce n’est pas si simple que cela « la critique est aisée mais l’art est difficile » comme le disait Flaubert et cette critique vient souvent, trop souvent de gens dont l’implication dans l’élevage est récente.
Pourquoi certains juges sont plus critiqués que d’autres ? Là est la question !
Sans doute la réponse la plus simple est le non-respect de son autorité et de la reconnaissance de ses compétences pour la race jugée.
Dans le règlement des juges, qui fait partie du module de formation dans la rubrique « règlement de la cynophilie » il est précisé :
Que le juge doit être irréprochable dans sa tenue et son comportement.
Ce qui signifie que son attitude et ses décisions doivent entraîner le respect des exposants.
Quels sont les moyens de parvenir à ce résultat ?
Ils se déclinent de cette façon : * La compétence
* L’expérience
* Le professionnalisme
* L’honnêteté
* Le courage
Je ne connais pas un seul juge qui ne se soit pas un jour ou l’autre trouvé en butte à la critique. La beauté étant une matière subjective, son appréciation est fonction de l’individu qui l’évalue. De plus, il est humain de critiquer son prochain plutôt que de se remettre en cause. Certains exposants n’auront de cesse de critiquer les juges quelle que soit leur compétence.
Pour limiter cette critique, il est à mon avis indispensable que le juge fasse preuve d’une éthique sans faille.
Mais quelle est la définition de l’éthique :
La question a soulevé de nombreux débats mais il est communément admis que l’éthique vient de la combinaison de deux mots grecs, l’un signifiant « la science morale » le second « lieu de vie, habitudes, mœurs et caractère » et du latin « ethicus » signifiant la morale.
C’est une discipline philosophique pratique qui a pour but d’indiquer comment les êtres humains doivent se comporter, agir et être, entre eux et envers ce qui les entoure.
Dans tous les cas, l’éthique vise à répondre à la question « comment agir au mieux ».
Que veux-je FAIRE ?
« Ne pas être critiquable »
Que puis-je faire ? Que dois-je faire ?
« Respecter les règles » « Avoir un comportement
irréprochable »
Cette définition s’applique aussi bien aux juges qu’aux exposants
Les rapports entre éthique et morale sont délicats et dans le cas qui nous préoccupent interdépendants.
A cet aspect moral se rajoute une notion qui en est proche mais plus liée à la fonction : la déontologie, à savoir les règles qui régissent la fonction.
J’ai donc tenté de déterminer les règles absolues d’un juge, (selon Sylvie Desserne, je tiens à le préciser car ceci est mon opinion, et pas forcément celle de mes collègues juges)
VOICI LES DIX COMMANDEMENYS DU JUGE :
* Avoir élever il faut !
* Te souvenir de ton passé d’exposant tu devras !
* Te tenir correctement il faut !
* Ne plus produire tu devras !
* Respecter l’exposant il faut !
* Relire ton standard cent fois tu feras !
* Objectif tu seras !
* Tes amis et ennemis tu oublieras !
* Honnête tu es !
* Courageux tu seras !
Commentaires de ces préceptes
Se souvenir de son passé d’éleveur et d’exposant est indispensable, les bons et les mauvais moments, les succès et les nuits sans sommeil sont la trame de notre expérience. Qui peut oublier la critique de ses pairs, la déception d’un jugement jugé partial à tort ou à raison, le plaisir de gagner qui doit être la consécration d’un travail de sélection.
Sa tenue vestimentaire et son comportement dans le ring doivent clairement établir où se trouve l’autorité.
Ne plus produire, ceux qui me connaissent savent à quel point je trouve le fait de continuer à produire, handicapant pour un juge : comment garder la pleine conscience de la qualité d’un chien lorsque nous l’avons produit et vendu sans être entraîné à le surestimer ou à trop le pénaliser, ce qui était mon cas.
Savoir expliquer sa décision devrait toujours être possible, sans pour cela se justifier, mais rendre compréhensible ses décisions pour tous. (Il faut être respectueux de l’exposant, de sa connaissance, comme parfois, de son manque de connaissance du chien).
La beauté est une notion subjective mais la lecture et l’appui des éléments du standard doivent nous permettre de cadrer cette subjectivité.
Le détachement de tout intérêt affectif ou financier nous permet une plus grande objectivité.
Le courage de nos décisions envers et contre l’opinion de nos amis qui sont souvent nos plus grands critiques, et de nos ennemis, est la plus importante des qualités d’un juge.
Il est difficile d’imposer une décision qui va immanquablement soulever des discussions sans fin, pour, contre, qu’importe ! Il faut revêtir une armure pour supporter les réactions, et tenter d’apporter le fruit de son expérience et de son intime conviction.
Car c’est cela que nous faisons : nous transmettons notre expérience et prévenons les déviations que pourrez engendrer le goût immodéré de certains éleveurs pour un type de chien qui porté à l’extrême va nuire à la race. Notre rôle essentiel est celui de pédagogue.
Voici nos devoirs ! Ne pensez-vous pas non plus que nous avons des droits !!!!
Et pour les respecter, il faut parler ici de l’éthique de l’exposant.
LES DIX COMMANDEMENTS DE L’EXPOSANT
* Laver ton chien il faudra !
* Relire ton standard tu devras !
* Regarder tes chiens objectivement tu feras !
* Regarder les chiens des autres sans a priori tu devras !
* Bien te comporter dans le ring tu devras !
* Sportif et fair-play tu seras !
* Analyser tes résultats pour progresser tu feras !
* Applaudiras les autres tu devras !
* Ne pas critiquer sans raison tu essayeras !
* Respecter le juge il faudrait !
Commentaires de ces préceptes :
La propreté d’un chien dans un ring semble pour tous, évidente mais hélas, ce n’est pas toujours le cas.
Ne pas avoir d’idée toute faite et un a priori sur un juge sans le connaître.
Ne pas perdre de vue que les défauts de vos chiens vous paraissent toujours moins graves que ceux des chiens de l’éleveur concurrent.
Votre attention et votre comportement dans le ring sont le reflet de votre personnalité.
Se connaître soi-même est très important et savoir que sa réaction peut être épidermique nous permet de nous obliger à prendre du recul. Penser que la personne qui gagne mérite votre respect même si vous n’aimez pas son chien, elle n’est pas responsable et surtout ne doit pas être punie pour son succès.
Donner au juge le respect que nous attendons qu’il nous donne.
Avoir le courage de se remettre en question !!! « parfois, un chien qui gagne n’a objectivement que le défaut de ne pas nous appartenir ».
Ne pas oublier qu’autour du ring, 10 personnes différentes auront souvent 10 opinions et 10 analyses du gagnant différentes. Plusieurs chiens peuvent remporter une compétition et vous pouvez préférer celui-ci ou celui-là mais le juge aussi a le droit d’avoir son appréciation et de la revendiquer. Est-il condamnable pour autant ?
Je ne prétends pas qu’il n’y ait jamais de mauvaise appréciation de la part d’un juge mais si vous avez le droit à l’erreur pourquoi pas lui ! Dans la mesure bien sûr, où cette erreur ne se renouvelle pas (par méconnaissance de la race), ce qui peut arriver mais ce n’est pas si courant.
Ne perdez pas de vue que le juge n’a que trois minutes pour évaluer un chien que vous pouvez observer une heure voire plus. Certains détails peuvent lui échapper, doit-on pour cela avoir un comportement déplaisant ?
Certains éleveurs se voient confronter à un refus du juge d’adhérer aux types de chiens qu’ils présentent. Peut-être devraient-ils se poser des questions, pourquoi et en quoi je m’éloigne du standard ? Plutôt que de se retirer derrière cette opinion bien commode : il ne m’aime pas ! il fait du copinage ! Bien sûr, c’est plus facile, cela évite de se remettre en cause ! Il est préférable dans ce cas, de relire le standard et de se déplacer dans le pays d’origine de la race pour avoir un œil nouveau sur ses chiens.
Le juge aussi, parfois, peut ne pas être assez sûr de lui et se baser sur les résultats déjà obtenus par le chien. Qui est à blâmer dans ce cas-là ? : son manque d’expérience et parfois de courage, quelque fois aussi la pression exercée par certains éleveurs (ce qui est inadmissible et doit être pénalisé).
Une meilleure formation peut éventuellement améliorer ces deux points.
Je me souviens de certains exposants qui, après m’avoir donné leur résultat, m’ont précisé que le juge ne les aimait pas. Peut être la question devrait être poser différemment : il n’aime pas le type de chiens que je présente. Il n’apprécie pas mon chien et moi-même ne suis pas en cause !
Ne faisons pas d’anthropomorphisme. Seul mon chien est jugé, pas moi !!!
Je comprends la réalité de l’implication viscérale et affective qui affecte les éleveurs. Actuellement nous exigeons de plus en plus de choses de leur part : tester leurs chiens pour les tares génétiques, la dysplasie, de plus en plus de papiers, déclarations diverses et service après vente et voilà qu’en plus, je leur demande de garder leur calme, leur sang froid, leur objectivité et leur sens de l’humour. Je conçois que je demande beaucoup. En tant qu’exposant, il m’est arrivé de perdre mon sang froid, de contester des jugements parfois surprenants pour ne pas dire révoltants.
Mais, il faut toujours le moment de révolte passé, que les deux parties, l’exposant et le juge se posent des questions, se remettent en cause et qu’ils aient une grande conscience de la dimension humaine qui les rend faillible.
Une erreur d’appréciation est possible mais le juge doit être honnête, il peut avoir des amitiés, mais dans le ring, elles doivent disparaître au profit de son honnêteté et de son objectivité. Ce n’est pas seulement un vœu pieux, c’est l’expression d’une réalité. C’est pour cela que le détachement de tout intérêt commercial ou affectif est primordial, car il faut être très fort psychologiquement pour dépasser ses intérêts.
Le garde fou des deux partenaires des expositions canines que nous sommes, juges et exposants, est la passion commune pour nos races.
Ne perdez jamais de vue le standard, dont certains éleveurs citent des passages qui n’existent pas mais qu’ils ont fini par faire leur, sans rien avoir vérifié. Il s’agit, en fait, de leur interprétation du standard.
En conclusion, le jugement et l’appréciation des qualités d’un chien ne sont pas des sciences exactes mais encore une fois, le standard est notre garant. Lisez-le ! Relisez le 100 fois ! Etudiez les chiens qui composent le cheptel français, anglais, italien, allemand…. Observez et soyez ouvert et réceptif à la critique comme le juge lui-même doit l’être.
Et rappelez-vous que tout juge qui se respecte, sera de toute façon, prêt à vous écouter si vous avez des questions et des observations à lui soumettre après ses jugements dans un respect mutuel indispensable à notre passion.
Sylvie DESSERNE
Courtoisie : Club des Epagneuls Nains Anglais.